La justice transitionnelle peut-elle sauver le Soudan du Sud?

2019-12-23

Introduction

La guerre n’est pas un phénomène étranger dans le continent de l’Afrique. Suite à la vague de décolonisation en Afrique pendant la deuxième moitié du XXe siècle, un grand nombre de pays africains se sont vus tombés dans l’instabilité politique. Certains États ont été capables d’arrêter le cycle de violence qui avait pris le continent et établir des gouvernements stables et fonctionnels. Par contre, il y a toujours beaucoup d’États africains qui restent une proie à la violence et aux conséquences qui en découlent. Le Soudan du Sud est un bon exemple d’un pays qui a été victime de violence pendant de longues années et qui souffre gravement des conséquences de nombreux conflits sur son territoire. Récemment, la guerre civile au Soudan du Sud qui avait débuté en 2013 s’est atténuée après la signature d’un accord de paix entre les deux belligérants en 2018. Cependant, cette paix se voit temporaire et fragile n’ayant aucun espoir de perdurer en raison du clivage ethnique qui domine la scène politique soudanaise. L’ethnicisation de la politique (Chevrillon-Guibert, 2013, p.58) a entraîné une série de conflits au Soudan qui ont directement affecté la situation des droits de la personne. Ainsi, la question centrale qui se pose dans ce contexte est la suivante: quelle serait la meilleure manière d’assurer non seulement une paix durable au Soudan du Sud, mais également une stabilisation de la situation des droits de l’homme sur son territoire? L’entrée de blogue suivant s’attarde à appliquer une approche de justice transitionnelle, notamment restauratrice, dans le contexte soudanais. Elle avance la thèse qu’une approche restauratrice serait plus efficace dans le cas du Soudan du Sud puisqu’il permettra de réparer et stabiliser les différentes strates de la société soudanaise à long terme, soit politique, humanitaire et sociale.

 

La situation politique au Soudan du Sud

Avant de plonger dans l’application d’une justice transitionnelle au Soudan du Sud, il est nécessaire de comprendre la situation politique et humanitaire actuelle dans le pays. À la suite de son indépendance en 2011, le jeune pays n’a connu que des conflits sur ses territoires. Deux ans après son indépendance, le pays s’est retrouvé plongé dans une guerre civile. Le président, Salva Kiir, et le vice-président, Riek Machar, s’affrontent férocement pour le contrôle du pouvoir (Lagrange, 2015, p.137). Cette guerre, entre ces deux hommes issus de différentes communautés ethniques soudanaises, soit Dinka et Nuer, s’est rapidement transformée en guerre ethnique (Ibid). Ce conflit a ravivé les tensions historiques irrésolues entre les différents groupes ethniques du pays (Chevrillon-Guibert, 2013). Ainsi, le Soudan du Sud est devenu victime de crises financières, politiques et humanitaires massives (Vries et Justin, 2014). L’impression générale du Soudan du Sud est qu’elle est un État fragile, incapable de mettre en place des structures de gouvernances stables et d’instaurer une paix durable (Franck et Vezzadini, 2016, p.18). Par contre, il ne suffit que de pousser le Soudan du Sud dans la bonne direction à l’aide de la justice transitionnelle.

 

Qu’est-ce que la justice transitionnelle ?

La justice transitionnelle dérive essentiellement d’un désir ou d’une nécessité « de tourner sur un passé marqué par des violations des droits humains à travers un processus de redressement de ces crimes » (Souaré, 2008, p.208). Plus concrètement, ce processus s’effectue à travers des poursuites juridiques des crimes contre l’humanité, la recherche de la vérité, la réhabilitation de la société et la mise en place de réforme institutionnelle dans le but de restaurer les relations entre les agresseurs et les victimes (Ibid). Cette dernière peut adopter une  variété de formes; elle peut « apparaître comme un ensemble de mesures visant à encadrer un Tribunal ad hoc pour des crimes politiques » (Nadeau, 2009) ou encore, elle peut prendre la forme de commission de vérité et de réconciliation. La justice transitionnelle se manifeste à travers deux approches foncièrement distinctes: l’approche rétributive et l’approche restauratrice. 

D’une part, l’approche rétributive vise principalement à poursuivre et punir les auteurs de crimes contre l’humanité (Lefranc, 2006, p.394). Plus précisément, dans la perspective rétributive, les crimes représentent une violation aux lois d’un État (Béal, 2018, p.64). Alors, la justice ne peut s’accomplir qu’en établissant la culpabilité d’un malfaiteur et en lui attribuant une punition proportionnelle (Ibid). Cette approche, qui s’inspire de l’utilitarisme, cherche à dissuader et prévenir des crimes futurs en imposant des sanctions punitives sur les malfaiteurs (Saada, 2011, p. 53). Les mécanismes souvent employés par cette approche sont, d’un côté, des poursuites pénales nationales, dans lesquels les auteurs de crime sont jugés à partir du système de justice pénale de l’État. De l’autre côté, des poursuites internationales, où des auteurs de crimes contre l’humanité se font juger dans des tribunaux ad hoc (ex. TPIY) ou devant la Cour pénale internationale (CPI) (Saada, 2011, p.53). 

D’autre part, l’approche restauratrice se focalise plutôt sur les victimes qui ont souffert des crimes en question. Sous cette optique, le crime représente plutôt une atteinte aux individus et les relations qui les régissent (Béal, 2018, p.64). Afin d’atteindre la justice, cette approche vise à identifier les besoins des victimes et les obligations des malfaiteurs en encourageant un dialogue entre les deux camps (Ibid). C’est un processus de réparation participatif qui tente de faire le coupable prendre conscience du mal qu’il a causé et entreprendre des actions pour réparer ce mal (Lefranc, 2006, p.394). Généralement, cette approche se manifeste concrètement à travers des Commissions de vérité et réconciliation qui entreprennent des opérations qui incluent, mais ne sont pas limité à des mécanismes de clarification et de reconnaissance des violations passées, des réponses aux besoins et à la dignité des victimes et la réforme institutionnelle (Du Toit, 2003).

 

Pourquoi entreprendre une approche restauratrice au Soudan du Sud?

Une approche restauratrice est la solution la plus viable dans le contexte du Soudan du Sud puisque, les mécanismes de la justice restauratrice privilégient la réconciliation des communautés et s’attardent à restaurer la stabilité dans la vie des victimes (Béal, 2018, p.64). Au Soudan du Sud, les violences et traumatismes du passé ont causé des effets intergénérationnels néfastes qui ne permettent pas aux membres de la société d’aller de l’avant. Ainsi, le clivage des communautés ethniques d’auparavant ont continué à persister dans le conflit contemporain. En fait, un des enjeux principaux de la guerre civile au sein du Soudan du Sud est que le président Kiir et le vice-président Machar proviennent de deux groupes ethniques différents qui possèdent des rivalités historiques (Lagrange, 2015, p.137). Ceci étant dit, le gouvernement et l’opposition peuvent signer une panoplie d’accord de paix, mais ils seront inutiles dans l’instauration d’une paix durable si ces derniers n’adressent pas les tensions irrésolues entre eux.

Par ailleurs, les Commissions de vérités et de réconciliation aideront à répondre aux besoins immédiats des victimes puisqu’elles visent « à réparer le mal, plutôt que de punir simplement les personnes qui ont commis les crimes » (Lefranc, 2008, p.131). Ces dernières permettront d’entreprendre des opérations qui mènent à des réponses aux besoins et à la dignité des victimes et à la réforme des institutions étatiques. La guerre civile au Soudan du Sud a engendré de nombreuses conséquences qui affectent directement le peuple soudanais (ex. Insécurité alimentaire, abus sexuel des femmes et des enfants, etc.). La mise en place d’une Commission de vérité permettra d’entendre les doléances des victimes des atrocités humanitaires, qui ont dérivé de la guerre civile, à travers, par exemple la tenue des audiences formelles avec des représentants du gouvernement (Ibid). De telles manières, les Commissions seront capables d’entreprendre des actions pour résoudre les problèmes évoqués et « planifier les réparations à octroyer aux victimes » (Ibid). En définitive, l’instauration d’une Commission de vérité et de réconciliation pourrait potentiellement mettre un terme aux conflits ethniques et la crise humanitaire qui tourmentent le Soudan du Sud.

 

Conclusion

En guise de conclusion, le Soudan du Sud est un territoire qui s’est vu détruit par des conflits violents. Cette entrée de blogue s’est focalisé à appliquer une approche restauratrice dans le contexte du Soudan du Sud afin de démontrer qu’une telle approche permettra de réparer et stabiliser les différentes strates de la société soudanaise à long terme, soit politique, humanitaire et sociale.Une panoplie de travail scolaire discute de l’efficacité de l’approche restauratrice et son utilité à permettre aux victimes des crimes contre l’humanité de faire entendre leur voix et avoir une participation intégrale dans le processus de réhabilitation (Garbet, 2017; Allen, 2008; Lefranc, 2006). Ainsi, il serait intéressant d’incorporer plus fréquemment une approche restauratrice, et non seulement l’approche rétributive, lors de la mise en application de la justice transitionnelle. Notamment dans les pays africains qui possèdent des méthodes de réconciliation traditionnelle qui ressemble fortement à celle de la justice restauratrice (Allen, 2008, p.120).

Bibliographie

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cour pénale internationale? », La Découverte, vol. 1, no 53, p.118-124. 

 

BÉAL, Christophe (2018). « Justice restaurative et justice pénale », Rue Descartes, vol. 93, no. 

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CHEVRILLON-GUIBERT, Raphaëlle (2013). « Sud-Soudan : les acteurs de la construction et de 

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DU TOIT, Andre (2003). « La Commission vérité et réconciliation Sud-africaine: Histoire locale 

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FRANCK, Alice et Vezzadini, Elena (2016). « Le Soudan, cinq ans après l’indépendance du 

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GARBETT, Claire (2017). « The International Criminal Court and restorative justice: victims, 

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LAGRANGE, Marc-André (2015). « Soudan du Sud : de l’État en faillite à l’État chaotique », 

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LEFRANC, Sandrine (2008). « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », Droit et 

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LEFRANC, Sandrine (2006). « Le mouvement pour la justice restauratrice : « an idea whose 

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NADEAU, Christian. « Quelle justice après la guerre? Éléments pour une théorie de la justice

transitionnelle», La vie des idées.fr,  [En ligne], le 23 mars 2009. [https://laviedesidees.fr/Quelle-justice-apres-la-guerre.html] (Consulté le 21 décembre 2019). 

 

SAADA, Julie (2011). « La justice pénale internationale, entre idéaux et justification », Revue 

Tiers Monde, vol. 1, no 205, p.47-64. 

 

SOUARÉ, Issaka K (2008). « Le dilemme de la justice transitionnelle et la réconciliation dans 

les sociétés post guerre civile », Études Internationales, vol. 39, n° 2, p. 205-228.

 

VRIES, de Lotje et JUSTIN, Peter Hakim (2014). « Un mode de gouvernement mis en échec : 

dynamiques de conflit au Soudan du Sud, au-delà de la crise politique et humanitaire », Politique Africaine, vol. 3, no 135, 2014, p.159-175.